Entre 1931 et 1940, Marcel Mauss occupe la première chaire de sociologie créée au Collège de France. Neveu de Durkheim, Mauss y délivre des enseignements qui tiennent autant de la sociologie que de l’anthropologie de la religion et de l’ethnologie.
L’élection de Marcel Mauss au Collège de France, à 59 ans, est la consécration d’une œuvre déjà immense de recherche, d’enseignement et de critique. En 1930, il estime lui-même avoir fait paraître 2 500 pages rien que dans l’Année sociologique, parmi lesquelles l’Esquisse d’une théorie générale de la magie (1903) et l’Essai sur le don (1923).
Dans sa leçon inaugurale prononcée le 23 février 1931, Mauss annonce, outre ses cours, d’importants travaux d’édition des œuvres inédites d’Émile Durkheim, de Robert Hertz, d’Henri Hubert et de quelques autres, qui servent de matériau à ses leçons, respectivement en 1931-1932, 1932‑1933 et 1934‑1935. À partir de 1933, les cours de Mauss portent plus particulièrement sur « Le péché et l’expiation dans les sociétés inférieures », puis, de 1937 à la guerre, sur les rapports entre jeux et cosmogonie, tout en poursuivant les recherches sur les Germains entamées avec les travaux sur l’œuvre d’Henri Hubert en 1934. En 1935, Mauss publie l’une de ses études les plus importantes : « Les techniques du corps », où il montre que les usages les plus anodins que les êtres humains font de leur corps sont régis par un ensemble de traditions transmises par l’imitation et l’éducation.
Ces années au Collège de France sont surtout celles d’une sociologie qui s’intéresse aux phénomènes religieux, et tout particulièrement aux rituels. Dans le cours sur le péché et l’expiation, présenté comme une « mise au point des recherches de Robert Hertz », Mauss met en avant les imbrications entre les domaines rituels et juridiques dans la relation entre la violation d’un interdit et sa réparation par un rite. Cet intérêt ancien et sans cesse renouvelé pour les phénomènes religieux vaut à Mauss d’être élu président de la section des Sciences religieuses de l’EPHE en 1938.
S’il occupe bien une chaire de sociologie, Mauss pratique surtout une approche que l’on qualifierait aujourd’hui d’anthropologique. Plutôt que la société contemporaine qui intéressait au premier chef Durkheim, Mauss privilégie l’étude des sociétés alors appelées « inférieures » ou « archaïques », en particulier dans les colonies françaises, dans un but d’enregistrement de cultures anciennes amenées à évoluer rapidement.
Ce sont aussi les années de formation de toute une génération d’ethnologues « de terrain », tels que Denise Paulme, Germaine Tillion, Michel Leiris ou Claude Lévi-Strauss, qui le reconnaissent comme un maître, non sans quelque paradoxe puisqu’il fut ce que les Anglais appellent « an armchair anthropologist ».