Séminaire Jalila Sbaï, co-animé parle professeur Henry Laurens et parrainé par la chaire d’histoire contemporaine du Monde arabe.
L’émergence dans le monde musulman au milieu des années 1970, de deux courants idéologiques semblables mais concurrentiels, dont l’ambition est l’unification du Dar al islam, l’un par l’islam chiite, prôné par l’imam Khomeiny, l’autre – en réaction et à la suite du succès de la révolution islamique iranienne – par l’islam sunnite des dirigeants politiques arabes. Ces deux courants, se présentent en et au-delà de leurs frontières religieuses naturelles, comme une solution politique permettant l’abolition de l’emprise occidentale – idéologique, politique, morale, économique, militaire – dans laquelle, la guerre froide que se livrent les États-Unis et l’URSS et l’échec du mouvement des non-alignés par définition laïque, ont placé les mondes musulmans. Les premières ré-islamisations-radicalisations constatées en France au début des années 1980, en tirent leur origine.
La jeunesse, en particulier féminine, descendante de migrants algériens, est visée par des prédicateurs chiites mais d’origine arabe, notamment libanais. Pourtant, ce sont les mobilisations antiracistes et anti-maghrébines – Mouvements beur et touche pas à mon pote –, de la jeunesse issue des migrations nord-africaines qui attirent les politiques et les médias pendant cette décennie quatre-vingt. Cet intérêt s’est vite transformé en un intérêt pour la réorganisation de l’islam en France et la remise en honneur des pratiques de gestion de l’islam et des populations musulmanes en Algérie coloniale, dès le début de la guerre civile algérienne (1988) et la mobilisation en France, par l’armée algérienne, des jeunes franco-algériens en âge de combattre ou d’effectuer le service militaire, pour aller combattre en Algérie le FIS.
Cette guerre civile algérienne entre un mouvement (nébuleuse islamiste) islamiste radical et l’État socialiste issus des indépendances, préfigure – même si par ailleurs, toutes choses n’étant pas égales –, la guerre civile irakienne et l’avènement de Daesh, et la guerre civile syrienne, à peine deux décennies plus tard. Ces trois guerres civiles en l’espace de trente ans, à l’origine ou pourvoyeuse de populations radicalisées, ont engagé les Français musulmans dans ces guerres civiles outre-mer, soit du côté des États, soit du côté des mouvements radicalisés, ou encore du côté de la société civile. Le but de ce séminaire est d’interroger la situation actuelle des Jihadistes français, prisonniers en Iraq et en Syrie, afin de saisir dans la totalité et dans la globalité ce qui se joue en France – dans les différents registres : politique, institutionnel, social, juridique, humanitaire –, sur le plan national, le plan européen, et sur le plan international. Cette première question, devrait nous permettre de partir de la situation française actuelle pour entreprendre une nouvelle lecture du temps présent en histoire, d’une part, de chacun des trois Etats concernés (Algérie, Iraq, Syrie) et, d’autre part, celle des relations internationales à partir de :
- La manière dont réislamisation et la radicalisation d’une frange des Français musulmans, s’est articulée autour de ses multiples mobilités : dans l’espace Schengen, dans l’espace occidental (États-Unis) et oriental (Arabie Saoudite), dans l’espace nord-africain.
- Comment la population française musulmane diasporique de fait et son effrangement ré-islamisé, radicalisé, se meut dans des espaces multiples, multilingues, multiconfessionnels et multi-ethniques, interagissent – dans une temporalité quasi-simultanée – avec les sociétés locales orientales et maghrébines, les influences, sont influencées par elles ; et comment en retour, ces interdépendances s’articulent-elles en France et agissent sur les sociétés orientales et maghrébines.
- Comment les questions juridiques nationales et internationales soulevées par la question des rapatriements des prisonniers jihadistes français et leurs familles, et la légitimité des compétences en matière de leur jugement et traduction en justice, concentrent ou remettent en cause le model universel de l’État démocratique, en France et en Orient.
Paris, 17/11/2019
Jalila Sbaï