Les visions prophétiques utopiques, produits de l’exil de Juda à Babylone au vie siècle avant notre ère, décrivent un ensemble de relations et de conditions-modèles et donnent ainsi un aperçu du monde idéal selon les auteurs de ces textes anciens. Bien que certains détails varient d’un texte à l’autre, le retour des exilés et la restauration de la relation entre Israël et son Dieu Yhwh sont des thèmes communs de nombre de ces visions. Il y est également question de victoire militaire sur des ennemis, de retrait d’oppresseurs sur le territoire, d’établissement d’une paix universelle, d’attachement à Yhwh et Jérusalem d’étrangers non-résidents, d’émergence d’un dirigeant idéal (davidique) et de transformations diverses du monde naturel.
Le handicap joue un rôle central dans nombre de ces visions utopiques. Dans certains textes, la condition de personnes handicapées se trouve changée par Yhwh pour qu’ils puissent prendre part au retour des exilés (Jr 31, 7-9), à la défaite militaire des ennemis et aux événements subséquents (Is 33, 17-24), ou au culte dans le temple dans un avenir idéal (Is 56, 3-7). D’autres passages envisagent une transformation physique d’handicapés leur conférant des capacités parfois hors du commun lorsque Yhwh agit pour délivrer Israël (Is 34, 4-10 ; 29, 17-21). Certains textes ne parlent pas directement d’handicapés, mais emploient le handicap comme une métaphore illustrant l’état dans lequel est le peuple qui a rejeté l’intervention salvifique et transformatrice de Yhwh (Mi 4, 6-7 ; So 3, 19). Chacun de ces passages fait appel au handicap pour exalter Yhwh comme un dieu incomparable, dont l’action permet aux handicapés de prendre part à son plan salvifique et qui, s’il le décide, peut même totalement éliminer le handicap.
Si les textes utopiques exaltent toujours Yhwh, ils stigmatisent en même temps les handicapés. Ils peuvent éliminer les handicaps dans un avenir idéal, suggérant qu’ils n’ont aucune place dans une utopie ; ils peuvent suggérer que les handicapés dépendent d’efforts particuliers fournis par Yhwh pour limiter les effets marginalisants de leur condition physique et leur permettre de retrouver une condition normale ; ils peuvent dévaloriser les handicapés par des comparaisons stigmatisantes (p. ex. un désert) ; ils peuvent employer des discours binaires stigmatisants (p. ex. la honte) ; ils peuvent associer les handicapés à d’autres groupes stigmatisés et marginalisés (p. ex. les pauvres et les affligés), et à des caractéristiques et conditions dévalorisées telles que la faiblesse, la vulnérabilité, l’immobilité, la dépendance, la féminisation [des hommes], et le rejet divin – certains d’entre eux étant éliminés de l’utopie, tandis que d’autres demeurent. En revanche, un texte utopique au moins (Is 56, 3-7) envisage l’intégration totale d’handicapés sans les stigmatiser.