L’année 2018-2019 s’est située dans le prolongement de nos travaux axés sur le rapport à l’autre ou aux autres de cette Chine du premier empire centralisé des Han, dont nous avons vu qu’elle se représente ou se projette volontiers dans les sources textuelles comme un espace fortement centré et hiérarchisé, comme une centralité qui rayonne ou irradie de la civilisation aux quatre orients sans qu’il y ait de limites à la périphérie. Centralité qui se confirme et se conforte elle-même dans la confrontation souvent hostile avec les « autres » immédiats, notamment les Xiongnu sur les marges de l’espace chinois.
Or, cette représentation commence à se trouver ébranlée dans ses fondements par la prise de connaissance et de conscience de l’existence d’autres centres possibles de civilisation, au-delà des « autres » tout proches considérés comme des « sauvages ». Nous avons constaté une démarcation assez nette entre les dénominations peu flatteuses des populations sur le pourtour immédiat de l’espace chinois et les désignations au contraire idéalisantes des royaumes plus éloignés, qualifiés de « grands » comme Da Qin (l’Orient romain) ou de « célestes » comme Tianzhu (le monde indien). Les sources de la fin des Han et du début de la période de désunité qui a suivi témoignent d’une grande ambivalence vis-à-vis de ce que l’on entendait dire sur ce royaume au-delà des Himalayas, que l’on qualifiait de « céleste » tout en continuant à le dire peuplé de Hu « barbares de l’Ouest », de la même façon que l’enseignement bouddhique suscitait la curiosité tout en étant « récupéré » comme étant assimilable aux sagesses connues dans le monde chinois, voire comme étant un simple « avatar » de ces sagesses.