Peut-on dissocier la recherche de la création ? Y aurait-il une recherche autonome au service de la création ? Existerait-il des chercheurs indépendants au service des créateurs ? La recherche serait-elle un service fourni à la création ? Ou bien, en lui-même le compositeur diviserait-il son activité en deux temps ? Selon deux fonctions qui se complètent ? L’alternative : la recherche liée absolument à la création d’une façon irréversible ? La recherche ne saurait alors exister en dehors de la création.
Pourquoi ce concept de recherche est-il venu au premier plan, pourquoi la recherche a-t-elle pris un visage d’autonomie ? Est-ce que cette autonomie existe vraiment, ou n’existe-t-elle qu’en apparence ? Et surtout, est-ce que le développement technique a engendré une situation nouvelle ? Et s’il y a recherche autonome, sur quoi vit-elle, à partir de quoi se développe-t-elle, sur quoi se base-t-elle ?
Qu’en est-il, d’autre part, de l’effort collectif et de l’effort individuel ? La recherche est-elle à même de se fixer des buts collectifs alors que la création serait exclusivement un apanage individuel ? Pour la création l’individu puise-t-il dans les ressources que lui fournit le groupe ?
Est-ce l’environnement technologique qui dicte le langage, ou est-ce le langage qui détermine les directions que prend la recherche technologique ? Le chercheur — qu’il soit purement scientifique, ou que ce soit un musicien réfléchissant à un problème spécifique — est-il capable de faire abstraction, de s’absenter du langage, et donc du mode d’expression ?
On peut poser ces problèmes en termes absolus : ou bien, ou bien. En fait, les relations sont d’un ordre plus complexe ; elles sont aussi plus pragmatiques et se déterminent rarement d’une façon aussi schématique. Au lieu d’une théorie globale préexistante, on construit au fur et à mesure grâce à une connexion, et puis une autre. On généralise si on en a le temps, le loisir, le goût, ou les moyens.
Mais qu’est-ce que la recherche sinon, d’abord, le constat, la recension d’un état de fait ? En tout cas, elle commence, fut-ce inconsciemment, par faire le compte de ce que l’on a et de ce qui vous manque. La recherche du compositeur passe par un bilan d’insatisfaction vis-à-vis de ce qui existe quant à ce qu’il imagine possible. Entre ce possible, quelquefois précisément imaginé, quelquefois confiné dans le vague, et sa réalisation se situent des approches plus ou moins rationnelles, déduites avec précaution ou provoquées par court-circuit.
La recherche du compositeur ne peut exister sans que le langage l’oriente, la détermine. La recherche n’existe que par l’expression, par l’écriture. Dans la création, la recherche « pure » n’existe pas. Cependant qu’il serait présomptueux de se fier seulement à l’expression : danger trop réel de réduire l’invention à des trivialités en sursis. Ce rapport écriture/expression est susceptible de mener à l’inattendu. Une recherche purement technique dans le domaine de l’écriture peut faire surgir dans l’expression un point de vue qui n’est pas absolument voulu, mais plutôt découvert.
Phénomènes adjacents qui se greffent sur un phénomène principal, et qui deviennent sinon plus importants, du moins autres que le phénomène principal. Il se produit une sorte de dérivation. Tout cela parce que la spéculation et l’expression ne sont pas forcément en phase au moment de la composition. Le tout est de tirer parti de ces divergences, de les utiliser au profit de l’invention, de faire pencher la balance du côté du « rendement ».
Si cela existe au niveau de l’écriture même, on est en droit de l’imaginer avec une force bien plus grande au niveau de l’extension technologique. Il s’y ajoute alors une différence de nature dans les moyens et même dans les buts. Cependant, il faut se méfier du cliché selon lequel l’imagination artistique serait impliquée uniquement par l’activité créatrice, alors que la découverte technologique serait, avant tout, une question de labeur.
P. B.