Les cours de cette année ont été consacrés à un thème que nous n’avons jamais exploré en détail : vénérer les dieux à titre privé. Que faut-il entendre par là ?
L’étude des religions du passé est sujette à des modes qui s’expriment de différentes manières avec des conséquences plus ou moins prégnantes. Nous avons déjà passé en revue au cours des années passées les multiples chemins d’accès qui sont encore, ou ont été autrefois empruntés pour approcher les dieux et les théologies romaines. On a aussi critiqué, il y a quelques années de cela, la manière dont certains auteurs récents prétendent déconstruire la compréhension qu’on a tenté d’élaborer des religions grecque et romaine. Nous avons aussi attiré l’attention sur le fait que cette déconstruction n’était pas le résultat, comme on voudrait nous le faire croire, de perspectives totalement inédites mais, à y regarder de près, s’enracinait dans des théories qui trouvent en fait leur origine dans la théologie protestante, et prétendent interpréter sur ce même modèle, et selon des principes aussi anachroniques qu’au XIXe s., les religions grecque et romaine. Si l’on suit la logique de cette déconstruction, les recherches menées depuis le début du XXe s. auraient le tort d’avoir mis l’accent de façon exclusive et excessive sur la religion de la cité, c’est-à-dire sur la religion publique, en ignorant totalement ce qui constituerait la véritable religion, celle qui préoccupe l’individu, à la recherche d’un lien personnel avec une divinité susceptible d’assurer son salut dans l’au-delà. On reproche en somme à l’histoire des religions de se focaliser sur des religions qui seraient en fait déjà moribondes aux IIIe, IIe, Ier s. av. J.-C. Dans notre cours d’il y a six ans ainsi que dans un livre (Les dieux, l’État et l’individu. Réflexions sur la religion civique à Rome, Paris, 2013), nous avons rappelé que ce jugement se fonde en dernier ressort sur une méconnaissance profonde de la société romaine et de la notion de personne telle que la concevait le monde antique. Nous avons régulièrement rappelé que les documents antiques n’attestaient l’existence d’aucun déficit religieux, notamment de nature privée, ni dans les derniers siècles avant, ni dans les quatre premiers siècles apr. J.-C.