La phrase de saint Bernard, tirée de son sermon 84 sur le Cantique des Cantiques, qui figure dans l'intitulé du cours et qu'on ne peut traduire sans en affaiblir la rugosité volontaire et le rythme (« ce n'est pas par le mouvement des pieds, mais par les désirs, ce n'est pas en marchant, mais en désirant que l'on cherche Dieu »), vise, bien entendu, les pèlerinages, traditionnellement interdits ou déconseillés aux moines, et non l'errance aventureuse du chevalier en quête du Graal. Mais depuis qu'un célèbre article d'Etienne Gilson a montré l'influence de la spiritualité cistercienne sur la Quête du saint Graal, il est permis de se référer
à saint Bernard pour éclairer à la fois le cheminement romanesque et le sens déroutant de la littérature du Graal. A saint Bernard seul ? L'ouvrage tout récent et magistral de Jean-René Valette, La Pensée du Graal. Fiction littéraire et théologie (XIIe-XIIIe siècle) (2008), rappelle ou montre que d'autres influences - celle de Guillaume de Saint-Thierry, celle des victorins et d'une façon générale celle de la pensée théologique héritée de l'augustinisme - peuvent être prises en considération, même si les réserves ou les aménagements que certains ont cru devoir apporter à la position de Gilson sont souvent mal fondés.
La perspective du cours sera cependant différente et moins ambitieuse. La question qu'il pose est de savoir pourquoi la recherche du Graal prend la forme de l'errance et de l'aventure chevaleresques. Pourquoi l'aventure chevaleresque plutôt que le pèlerinage ou que le recueillement de l'ermitage ou du cloître ? Pourquoi l'action comme voie d'accès à la contemplation ? Parce que la forme romanesque l'impose, parce que le Graal n'existe que dans des romans de chevalerie, dont il faut séduire les lecteurs ? Parce que la littérature médiévale tend à confondre la narration avec le déplacement et à considérer que le récit n'avance que si les personnages le font aussi ? Réponses trop simples, presque tautologiques. Au reste, ces romans n'ignorent et ne dédaignent ni le pèlerinage ni la vie religieuse. Ils y trouvent volontiers leur enracinement ou leur aboutissement. Et pourtant tout se joue autour
de la Table Ronde qui réunit les chevaliers du roi Arthur : un lien de filiation l'unit audacieusement aux deux autres tables salvatrices que sont celle de la Cène et celle du Graal. Il n'est donc pas inutile, même après tant de travaux informés et pénétrants, de reprendre la réflexion sur la militia Christi, sur l'ambiguïté du mot miles et ses conséquences littéraires, sur la chevalerie terrienne et la chevalerie célestielle. Mais cela ne suffit pas. Il est permis de se demander si tous les romans exaltent vraiment la quête du Graal par les voies de la chevalerie et si certains, y compris celui à qui l'on donne ce titre, y compris le premier de tous, celui de Chrétien de Troyes, ne voient pas au contraire dans la quête chevaleresque du Graal une erreur et un aveuglement, la dérisoire substitution du "mouvement des pieds" au désir de Dieu.