Le cours 2008 s'est attaché à analyser, par les méthodes de la psychologie cognitive, la représentation mentale de l'un des plus simples et cependant des plus fondamentaux des objets mathématiques : le concept de nombre entier naturel.
La nature et l'origine des objets mathématiques font débat depuis l'Antiquité. De nombreux mathématiciens adhèrent, explicitement ou implicitement, à une hypothèse Platonicienne selon laquelle les mathématiques ne sont que l'exploration d'un monde à part, régi par ses propres contraintes, et qui préexiste au cerveau humain. Citons par exemple Alain Connes dans son débat avec Jean-Pierre Changeux : « Lorsqu'il se déplace dans la géographie des mathématiques, le mathématicien perçoit peu à peu les contours et la structure incroyablement riche du monde mathématique. Il développe progressivement une sensibilité à la notion de simplicité qui lui donne accès à de nouvelles régions du paysage mathématique » (Changeux & Connes, 1989).
Le psychologue du développement, cependant, ne peut qu'être frappé par la difficulté avec laquelle l'enfant se construit, petit à petit, une compétence mathématique. Il en conclut aisément à une pure construction mentale des objets mathématiques. Pour Piaget, la logique en constitue le fondement (« Le nombre entier peut ainsi être conçu comme une synthèse de la classe et de la relation asymétrique »). Pour d'autres, le langage joue un rôle essentiel (cf. Vygotsky : « la pensée ne s'exprime pas seulement en mots : elle vient au monde à travers eux »).
La position que j'ai défendue dans ce cours, et que l'on pourrait qualifier d'intuitionniste, n'appartient à aucun de ces deux camps. Elle postule que les fondements cognitifs des mathématiques doivent être recherchés dans une série d'intuitions fondamentales de l'espace, du temps, et du nombre, partagées par de nombreuses espèces animales, et que nous héritons d'un lointain passé où ces intuitions jouaient un rôle essentiel à la survie. Les mathématiques se construisent par la formalisation et la mise en liaison consciente de ces différentes intuitions. Ainsi cette position se rattache-t-elle, sans pour autant s'y identifier, à l'intuitionnisme mathématique de Brouwer et Poincaré. Dès le XIIIe siècle, Roger Bacon notait que « la connaissance mathématique est presque innée en nous... elle est la plus facile des sciences, de tout évidence, en ce qu'aucun cerveau ne la rejette : même les hommes du peuple et les illettrés savent compter et calculer ». Pour les mathématiciens Philip David et Reuben Hersh, « au sein des idées, des objets mentaux, les idées dont les propriétés sont reproductibles s'appellent des objets mathématiques, et l'étude des objets mentaux aux propriétés reproductibles s'appelle les mathématiques. L'intuition est la faculté qui nous permet de réfléchir et d'examiner ces objets mentaux internes » (Davis, Hersh, & Marchisotto, 1995, page 399).