Automatisme et Décision dans la composition, ce thème semble peut-être trop restreint, ou en tout cas se rattacher exclusivement à des techniques récentes comme celles auxquelles l’ordinateur nous conduit. Certes, si l’ordinateur révèle, plus que tout autre équipement, l’urgence de réfléchir à cette question, il semble que ce n’est pas lui qui a créé ce problème chez les compositeurs, mais que depuis un certain temps déjà la question se trouve posée des rapports entretenus entre la détermination et le hasard dans les intentions du compositeur, et aussi dans les moyens de réalisation qu’il utilise pour faire aboutir ces intentions dans des œuvres formulées.
Automatisme et décision, ce dilemme n’est qu’un point extrême dans un réseau de rapports plus généraux, qui s’applique tant à la genèse de l’œuvre qu’à sa réalisation, qui justifie l’œuvre comme carrefour du choisi et du trouvé, du cherché et de l’accepté.
On s’est beaucoup querellé sur la signification du projet artistique par rapport au hasard ou à la détermination. Beaucoup de déclarations d’intention furent énoncées à propos de la validité des points de départ, des intentions, du matériau, des composantes formelles. On a vu bien des expériences tentées à partir du hasard non adultéré par quelque arrangement que ce soit, à partir aussi de l’intuition, de la spontanéité des réactions, de l’improvisation donc. On a vu aussi bien des expériences basées sur l’entière détermination, où la volonté du compositeur se bornait à déclencher des processus, qui se chargeaient eux-mêmes de la tâche de composer, où tous les rapports étaient calculés, où les aspects formels n’étaient que la conséquence d’une évolution des procédés. Dans les deux cas, il s’agissait bien du tout ou rien : je me fie au pouvoir tout-puissant d’une détermination qui me dépasse, et que je ne cherche pas à comprendre ; je crée de toutes pièces un organisme qui prendra le relai de ma propre volonté, ne sera donc pas sujet aux accidents que je puis rencontrer et qui peuvent me faire dévier de la vérité objective des phénomènes structurels. Dans les deux cas, je suis le médium, soit de forces irrationnelles, soit de forces rationnelles, étant bien entendu que l’irrationalité apparente fait partie d’une rationalité qui nous échappe et que la rationalité littérale est l’expression limitée d’un ordre transcendant que nous ne sommes capables de saisir qu’à l’intérieur de ces limites.
L’œuvre n’est-elle qu’une série d’accidents, qu’une suite de choix qui, en d’autres circonstances, auraient pu donner de tout autres résultats ?
Quel est, dans le chaos d’intentions la précédant, le phénomène décisif qui va cristalliser un résultat ? Le but du compositeur est-il de révéler ce chaos, de le contenir, ou de l’annihiler ? Et dans ce dernier cas, peut-il arriver à l’élimination complète du hasard ? Ou réciproquement, s’il prend le hasard pour guide, peut-il rejeter absolument tout choix, toute décision ? Ne se réfère-t-il pas à certaines méthodes pour capter le hasard et donner au résultat survenu l’apparence d’une œuvre ?
Autant de mises en question, autant — littéralement — de mises en œuvre.
P. B.