Le mot « vision », disait Thomas d’Aquin, peut avoir deux sens : dans le premier, il signifie la perception par l’organe de la vue ; dans le second, il est appliqué à la perception interne due à l’imagination ou à l’intellect (Summa theologica, I, q. LVII, a, 1).
Au sens mystique, l’épreuve visionnaire n’est pas nécessairement une expérience optique, tout en étant une expérience de l’image. Cette image peut revêtir des degrés de clarté variables. La plupart des mystiques sont pourtant d’accord sur le fait que la rencontre avec le transcendant est, dans son essence, ineffable, inénarrable, irreprésentable, ce qui n’empêche pas que la culture occidentale dispose d’innombrables textes littéraires et d’autant d’œuvres d’art qui en parlent. Il s’agit pourtant d’images et de textes problématiques et paradoxaux puisqu’ils représentent ce qui, a priori, ne peut être ni vu, ni représenté.
C’est justement le grand problème de la « représentation de l’irreprésentable » que cette série de conférence se propose d’aborder. La peinture espagnole du xvie et du xviie siècles fournira la plupart des exemples, mais l’enjeu de cette recherche est plus vaste. Il s’agit, en fait, d’aborder un cas extrême de la représentation figurative, dans un espace géographique limité mais sur une toile de fond très ample. Cette toile de fond est constituée, d’un côté, par l’art occidental de la même époque et, de l’autre, par la spiritualité de la Contre-Réforme, qui redécouvre le rôle de l’imaginaire dans l’exercice de la foi.
Pour assumer cette tâche, les conférences emprunteront le chemin le plus direct : interroger la langue originaire des images, essayer de déchiffrer le mécanisme de leur fonctionnement en tant qu’images relatant une expérience d’image (une « vision »). Elles s’arrêteront sur les mécanismes de dédoublement métapictural à l’œuvre dans les tableaux de visions, interrogeront le rôle du corps en extase dans la communication d’une expérience inénarrable. La démarche interprétative, simple quant à son point de départ, ne sera exempte ni de risques ni de difficultés, car les caractéristiques fondamentales de l’imaginaire occidental se trouvent ici indéniablement poussées jusque dans leurs derniers retranchements.