Pour étudier ou comprendre le vocabulaire du français médiéval, on dispose de grands dictionnaires. Parmi les ouvrages terminés, les plus utiles sont le Dictionnaire de l’ancienne langue française de Frédéric Godefroy (10 vol., 1880-1902), l’Altfranzösisches Wörterbuch d’Adolf Tobler et Erhard Lommatzsch (11 vol., 1915-2002) et le Französisches Etymologisches Wörterbuch de Walther von Wartburg (25 vol., 1922-2002). Et comme ouvrages en cours, on a le Dictionnaire étymologique de l’ancien français commencé en 1971 par Kurt Baldinger, poursuivi ensuite par Frankwalt Möhren et désormais par Thomas Städtler ; le Dictionnaire du Moyen Français de Robert Martin, dont la version 2015 vient d’être mise en ligne ; et l’Anglo-Norman Dictionary qui, après sa 1re édition de 1977 à 1992, est aujourd’hui sur internet dans sa 2e édition en cours, animée par David Trotter jusqu’à sa mort récente. Mais il manquait un instrument de travail en un volume, fondé sur les acquis de la lexicographie. Le Dictionnaire du français médiéval que j’ai publié en 2015 (Les Belles Lettres) a pour objectif de remédier à cette carence.
Les trois grands dictionnaires terminés servent naturellement de base pour rédiger chaque article. Mais rien ne se fait mécaniquement. On doit être toujours vigilant pour ne pas répéter les erreurs de nos prédécesseurs. Pour cela, il est parfois nécessaire de retourner aux sources manuscrites. Par exemple, le mot airon que Godefroy a relevé dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci est une lecture erronée de la leçon arçon par l’abbé Poquet, que le lexicographe a recueillie sans examen en l’attribuant de plus au manuscrit dit de Soissons (Bibliothèque nationale de France, nouvelles acquisitions françaises 24541). De même, le mot arrerai que Tobler et Lommatzsch ont cité sans définition d’après La Branche des royaux lignages de Guillaume Guiart est une faute de lecture de l’éditeur Buchon, le manuscrit (Bibliothèque nationale de France, fonds français 5698, p. 107a) donnant anemis à sa place. Si ces mots ne sont pas recueillis dans mon dictionnaire, c’est que je les considère comme inexistants.
Les citations doivent aussi être contrôlées, car il arrive à nos prédécesseurs de se tromper de plusieurs façons (passages tronqués, attributions erronées, mauvaise compréhension ou datation, etc.). De plus, ils n’enregistrent pas toujours les plus anciens témoignages. Si l’on examine comment le substantif pieton « fantassin » est traité dans les dictionnaires, on s’aperçoit tout de suite qu’ils ont négligé son attestation la plus ancienne, qu’on trouve dans La Branche des royaux lignages de Guillaume Guiart (t. 2, vers 7897 de l’édition Buchon ; leçon confirmée par le manuscrit, p. 285a). De même, bien que les dictionnaires récents considèrent que Geoffroi Gaimar, auteur de l’Estoire des Englais, est le premier à avoir utilisé l’adverbe hastivement, celui-ci apparaît plus tôt dans le Psautier de Cambridge et le Voyage de saint Brendan de Benedeit. Malgré sa dimension restreinte, mon dictionnaire s’efforce de recueillir en cas de besoin des attestations négligées par nos prédécesseurs.