Au début du XXe siècle, le sort des Classiques chinois était précaire, nombre d’intellectuels les considérant comme la source des problèmes de la Chine moderne et préconisant de les enfouir avec les vestiges du passé. Mais les Classiques ne sont ni morts, ni enterrés. Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, ils continuent littéralement à sortir de terre. Pendant toute la période moderne, le rapport de la Chine à ses Classiques s’est fait avec le pinceau du lettré dans une main et la pelle de l’archéologue dans l’autre. Deux découvertes majeures ont attiré l’attention des savants comme celle du grand public. La première concerne la forme la plus ancienne d’écriture, des inscriptions sur os oraculaires des Shang qui remontent aux environs de 1200 avant notre ère. La seconde concerne des écrits sur lattes de bois découverts dans les sables d’Asie centrale et datant du début de notre ère. C’est au cours du millénaire écoulé entre ces deux époques que les Classiques furent composés et copiés sur différents supports.
Dans ma série de conférences au Collège de France, j’examine la manière dont l’archéologie a influencé l’étude des Classiques au cours du siècle passé, en me concentrant sur les trois premiers, le Classique des Mutations (Yijing), le Classique des Documents (Shujing), le Classique de la Poésie (Shijing), ainsi que sur un texte non canonique, le Classique de la Voie et de la Vertu (Daodejing). Dans la première conférence, je montre comment les inscriptions sur os ont amené à repenser– radicalement – la façon dont le Classique des Mutations a pu être composé. Les quatre dernières décennies ont apporté un flux continu de nouvelles découvertes, à commencer par celle du manuscrit sur soie de Mawangdui daté du IIe siècle av. J.-C., suivie de celle de trois autres manuscrits sur fiches de bambou (musée de Shanghai, Wangjiatai et Fuyang). Outre ces manuscrits du Yijing ou en rapport avec lui ont été découverts bien d’autres écrits divinatoires, dont des inscriptions sur os des Zhou, qui fournissent des renseignements précieux sur la manière dont ce Classique était utilisé.