Résumé
Dans cette présentation, j’examinerai la représentation de la Mongolie, du Tibet et du Xinjiang dans les parlements de la Chine du début du XXe siècle, notamment au sein du Conseil consultatif politique (Zizhengyuan 資政院) de la fin des Qing et de l’Assemblée nationale du début de la République. J’identifie deux modes distincts mais entremêlés de représentation des confins : un modèle patrimonial, qui maintenait les privilèges aristocratiques en échange de la loyauté, et un modèle d’État-nation, qui envisageait un statut égal pour les confins aux côtés des provinces à majorité Han. En reconstruisant ces deux modes de représentation parlementaire, cette intervention replacera les débats constitutionnels chinois dans un contexte eurasien plus large, montrant comment les tendances mondiales en matière de gouvernance ont croisé les efforts de la Chine pour assimiler ses populations frontalières diverses dans un État-nation unitaire.
Depuis la formation de l’Empire Daicing (Qing) aux XVIIe et XVIIIe siècles, ces régions étaient administrées selon des arrangements distincts des provinces. La Mongolie et le Tibet restaient sous la juridiction du ministère des Affaires des régions extérieures (Lifan yuan 理藩院). Le Xinjiang fut officiellement érigé en province en 1884, mais continua d’être traité sous de nombreux aspects comme un territoire frontalier. Lorsque le gouvernement Qing annonça sa « réforme de gouvernance » dans les années 1900, le statut des confins joua un rôle central dans les débats sur l’adoption d’une constitution impériale. J’expose comment le parlement fut conçu comme un instrument d’unification nationale plutôt que comme un moyen de représenter la diversité impériale. Par ailleurs, les intellectuels et fonctionnaires chinois, conscients de la concurrence des institutions parlementaires émergentes en Russie et dans l’Empire ottoman, craignaient que des mouvements constitutionnels et parlementaristes chez les Mongols, les Tibétains et les Musulmans ne conduisent à la séparation de ces régions si l’Empire Qing ne menait pas de réformes similaires. Ils espéraient donc que la représentation parlementaire puisse servir d’outil contre les tendances centrifuges aux frontières.
Toutefois, ils refusèrent l’application directe du cadre constitutionnel aux territoires frontaliers, invoquant leur faible densité de population ainsi que leur prétendue arriération économique et culturelle. À la place, ils proposèrent de les représenter par des sièges nommés dans la nouvelle chambre haute du parlement. Le Xinjiang constituait un hybride entre une province qui devait, au moins formellement, se conformer aux mêmes standards que les autres provinces, et une région frontalière qui n’était pas considérée comme égale aux provinces intérieures. Parce que le Xinjiang était officiellement une province, il possédait, en théorie, une assemblée provinciale, bien que celle-ci n’ait pas organisé d’élections et qu’aucun délégué élu n’ait été envoyé au Conseil consultatif politique à Pékin. Parallèlement, il était également représenté dans le cadre du « constitutionnalisme frontalier » par deux nobles nommés siégeant dans l’embryon de chambre haute. Ces politiques différenciées cherchaient essentiellement à parlementariser le modèle patrimonial des Qing, qui accordait des privilèges à la noblesse frontalière en échange de sa fidélité. Cependant, ces compromis laissèrent toutes les parties insatisfaites.
Les défis posés par la proclamation de la République de Chine, en particulier les déclarations d’indépendance de la Mongolie et du Tibet, conduisirent à une insistance accrue sur l’unité du nouvel État et à l’adoption rapide du modèle de l’État-nation. Dans la nouvelle « République des Cinq Ethnies » (wuzu gonghe 五族共和), le Tibet et les régions mongoles bénéficièrent d’une représentation à la fois dans la chambre haute et dans la chambre basse. Toutefois, en analysant les écrits des premiers juristes constitutionnels républicains et les débats au sein du Sénat républicain naissant, je montre que ce choix ne fit pas l’unanimité. De plus, diverses modifications et exceptions insérées dans la loi électorale firent en sorte que la participation électorale ne fût pas strictement territoriale, mais releva une fois de plus d’un système différencié de représentation frontalière.