Tenant compte des diverses manières dont notre compréhension de l’art de la Renaissance a été façonnée par sa réception moderne, je m’occupe plus particulièrement de l’impact de l’institution qui incarne l’époque moderne : le musée public et les expositions spéciales qui accompagnent son émergence. Dans le cas de ces premières transformations de collections royales ou de Cour en musées publics vers la fin du dix-huitième siècle – les Uffizi, le Kunsthistorischesmuseum à Vienne et le Louvre – les formules fondatrices et les premiers récits peuvent être analysés du point de vue de leurs approches de la classification et de l’exposition des œuvres, forcément évocatrices de valeurs particulières, et qui servent de modèles pour l’étude de l’histoire de l’art à l’époque moderne. L’objectif du Kunsthistorischesmuseum, qui deviendra celui du Louvre, était de projeter une « histoire visible de l’art ». En quoi consistait cette histoire ?
Si Raphael fut perçu comme une charnière historique, comme paradigme artistique de cet espace nouveau du musée, les tableaux de maîtres qui précèdent les œuvres canoniques de la Haute Renaissance furent bientôt – pour des motifs divers que nous examinons – rassemblés à leur tour. Nous abordons aussi à ce propos des institutions napoléoniennes telles que le Brera à Milan et l’Accademia à Venise ; ainsi que les musées d’art fondés entre 1820 et 1830 en Allemagne : l’Altes Museum à Berlin et l’Alte Pinakothek à Munich. Dans le cas du Musée Napoléon, un groupe d’œuvres d’art provenant de terres conquises fut exposé pour la première fois en 1814 sous la rubrique « écoles primitives », désignation qui mérite quelque réflexion. En tant que catégorie historique, voire comme point de départ d’une séquence narrative, ces « primitifs » alimentèrent une idée du progrès qui marquera les efforts des historiens de l’art en élaborant un cheminement pour les arts visuels.
L’Angleterre, où les musées d’art, fondés plus tard, ne s’appuyèrent pas sur des collections préexistantes, présente des circonstances différentes. Néanmoins, les projets pour la National Gallery ont rapidement incorporé l’acquisition d’échantillons de ces « Early Schools ». Que fut la perspective anglaise sur la collection de telles œuvres précédant la Haute Renaissance ? Quelles furent les valeurs perçues comme inhérentes à ces tableaux, et quel rôle leur attribua-t-on, surtout une fois destinés au regard du public ? Nous nous penchons également sur la création, vers 1870, au cœur d’un univers anglophone nouveau, de cet illustre triumvirat que représentent le Metropolitan, le musée de Boston et celui de Philadelphia. Comme la National Gallery en Angleterre, ces institutions durent constituer à partir de zéro leur inventaire. Étant donné la tabula rasa que fut le dix-neuvième siècle américain en termes de présence d’art de la Renaissance, il s’agit pour nous de reconstruire le réseau complexe à travers lequel de telles œuvres vinrent à être demandées, localisées, connues, expédiées et finalement exposées, loin de leurs origines, sur le sol américain.