Résumé
L’exemple de la divination enrichit particulièrement le débat sur la polis religion. De longue date, les classicistes ont affranchi la sphère politique grecque, et tout pouvoir décisionnel, de l’influence du religieux. Tablant sur le « rationalisme » des élites, mâtiné d’athéisme cynique, et se fondant presque exclusivement sur l’image littéraire de la divination, ils concluent trop souvent encore que la divination – étrangement répandue chez un peuple voué à la Raison – n’était qu’une façon parmi d’autres, pour les magistrats, les rois et les tyrans, de tromper les masses crédules à leur profit, ou celui des puissances dominantes, avec le concours malhonnête ou contraint des prêtres et agents oraculaires (la pythie va, selon les besoins de la théorie, d’une paysanne qui bredouillait quelques mots vite interprétés par les prêtres malveillants, à une femme facilement corruptible). Si Sparte, donc, veut contrôler Delphes, c’est pour faire dire à la Pythie la vérité apollinienne mais dans sa version spartiate. L’autorité des oracles serait ainsi une autorité de paille, dénuée de tout sens religieux pour ceux qui en tiraient avantage, en face d’Apollon réduit à un rôle de figurant. Cette approche dépend d’une vision préconçue tant de l’oracle et de la religion que de l’histoire politico-sociale en pays grec, une vision résolument moderne et partiellement chrétienne. Dans le cadre de ce colloque consacré aux études de Christiane Sourvinou-Inwood sur l’autorité de la cité en matière religieuse, nous reprendrons le problème à la base, sur les sources elles-mêmes, sans plus se préoccuper des thèses en présence, pour tenter de définir où résident l’autorité de la cité et celle de l’oracle et comment elles interagissent sur l’échiquier. Pour vendre la mèche, disons d’emblée que nous passerons de la théorie du cercle vicieux de la compromission à celle du cercle vertueux de la piété.