En 1825, la France imposa par la force à la jeune république haïtienne un traité par lequel, en échange de la reconnaissance de son indépendance par la France, Haïti s’engageait à payer 150 millions de francs d’indemnités aux anciens propriétaires de Saint-Domingue, ayant quitté l’île au cours de la Révolution. Une somme dont l’État haïtien n’a pu s’acquitter qu’en empruntant aux banques françaises. Cet emprunt colossal, qu’il mit des décennies à rembourser, pesa lourdement sur son histoire.
Cet épisode reste mal connu, notamment en France. En 2022, le New York Times a publié une longue enquête sur cette « double dette » et son coût dramatique pour le développement d’Haïti, sous le titre The Ransom, mais les résultats ont été peu relayés en France même. Plus généralement, c’est toute l’histoire de la Révolution haïtienne, depuis la révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791 jusqu’ à la déclaration d’indépendance d’Haïti en 1804, sous la houlette de Jean-Jacques Dessalines, qui reste insuffisamment connue, au-delà de la figure de Toussaint-Louverture, et en dépit des nombreux et importants travaux publiés ces dernières décennies de part et d’autre de l’Atlantique. Et il en est de même pour l’histoire d’Haïti après son indépendance, en particulier durant les premières décennies de formation du nouvel État.
Le colloque international, qui se tiendra au Collège de France les 12, 13 et 14 juin 2025, répond à un triple objectif. Il s’agit, d’une part, de faire le point sur l’épisode de 1825, avec les meilleurs spécialistes de la question, pour comprendre la façon dont les indemnités ont été calculées, puis versées, le contexte dans lequel elles ont été imposées à Haïti, les conséquences qu’elles ont eues, à court et long termes, sur la société, l’économie et la politique haïtiennes, ainsi que les conditions commerciales qui les accompagnaient et qui sont parfois négligées. Plusieurs communications permettront aussi de comprendre ces enjeux dans le cadre plus large des secours apportés aux réfugiés domingois ou des indemnités accordées aux anciens propriétaires d’esclaves après l’abolition définitive de l’esclavage dans l’empire français, par exemple à la Martinique en 1849. D’autre part, le colloque élargira la perspective pour présenter au public une synthèse des travaux les plus récents sur Saint-Domingue avant et pendant la révolution, avec un éclairage particulier sur l’histoire intellectuelle d’Haïti au XIXe siècle, un domaine aujourd’hui en plein essor. Enfin, nous aborderons les enjeux contemporains, liés à la mémoire des événements de 1825, aux demandes de réparation formulées à plusieurs reprises, notamment par le président haïtien Jean-Bertrand Aristide en 2003, et à la situation politique actuelle.
Ce colloque, qui réunira une trentaine de participants sur trois jours, venant d’Haïti, de la Caraïbe, des États-Unis et d’Europe, sera aussi accompagné d’un événement culturel, à travers la représentation de certaines scènes de La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire. L’ensemble permettra de jeter une lumière nouvelle sur l’histoire d’Haïti et sur ses relations avec la France.
Colloque organisé par Antoine Lilti, Arnaud Orain, Dominique Rogers et Cécile Vidal.