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La redécouverte des papyrus du Louvre

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

Depuis sa création, le musée du Louvre a constitué une collection importante de papyrus égyptiens. Ce patrimoine exceptionnel renferme des fragments allant de l’Antiquité jusqu’à l’époque médiévale. Beaucoup d’entre eux n’ont fait l’objet d’aucune étude approfondie. Aujourd’hui, des chercheurs s’attachent à montrer ce que ces supports fragiles racontent de leur époque.
Rencontre avec Carl-Loris Raschel*, papyrologue au Collège de France.

Si pour le plus grand nombre, le terme de papyrus évoque une sorte de papier très ancien fait à partir de la plante du même nom, les papyrologues sont loin de ne travailler que sur ce seul support. « En papyrologie, nous travaillons sur des papiers de papyrus, mais également des ostraca, c’est-à-dire des fragments de céramique ou de pierre, ou encore des tablettes de bois, tous les supports sur lesquels on écrivait à l’encre plutôt que par gravure », explique Carl-Loris Raschel. Ces différentes sortes de supports témoignent de la diversité des usages de l’écrit en Égypte à travers les siècles. Contrairement aux idées reçues, les papyrus hiéroglyphiques sont très rares. « Sur les papyrus égyptiens, nous trouvons majoritairement du démotique, l’écriture égyptienne quotidienne, mais surtout du grec, du copte et même de l’arabe », poursuit-il. La variété des papyrus reflète l’évolution des langues dans la société égyptienne sur une large période historique.

En effet, les textes conservés au Louvre couvrent une période très vaste. « C’est l’Antiquité dans son ensemble qui est représentée, depuis les textes pharaoniques jusqu’aux textes arabes du début du Moyen Âge », précise le chercheur. Chaque fragment raconte une histoire : contrats, comptes administratifs, correspondance privée ou documents religieux. Cette diversité donne un aperçu saisissant des interactions sociales, économiques et culturelles du passé. Pourtant, recomposer ces histoires relève parfois du défi, tant l’éparpillement des pièces en plusieurs morceaux a pu créer des confusions.

Une histoire mouvementée

Bien que la collection du Louvre soit ancienne, tous les papyrus ne sont pas publiés. « Nous parlons de milliers de textes dont certains sont presque des confettis avec quelques lettres », explique Carl-Loris Raschel en évoquant les difficultés à reconstituer le sens d’écrits pris dans les tumultes de l’histoire.

La constitution du fonds de papyrus du Louvre remonte au début du XIXe siècle, dans le sillage de l’expédition d’Égypte de Bonaparte et a été poursuivie par les achats effectués auprès de marchands de papyrus. Certaines pratiques de l’époque, comme l’achat de lots hétéroclites ou les erreurs de regroupement de fragments, posent aujourd’hui des défis aux chercheurs. « Les marchands de papyrus de l’époque n’étaient pas nécessairement très regardants. Beaucoup d’entre eux relevaient plus du trafiquant se livrant à des fouilles illégales », rappelle le papyrologue, soulignant les incertitudes sur la provenance exacte de nombreux textes.
La Seconde Guerre mondiale a également compliqué la tâche des conservateurs. La dispersion et le rangement précipité des collections liés à l’invasion allemande ont généré un certain chaos archivistique. « Il existe une sorte de double inventaire avec des cotes anciennes et nouvelles que l’on ne parvient pas toujours à faire correspondre », confie le chercheur. Restaurer un ordre cohérent à ce corpus représente une étape essentielle pour le rendre accessible aux spécialistes du monde entier.

Bâtir une communauté scientifique

Donner un second souffle à des documents peu connus ne se limite pas à l’archivage. Pour Carl-Loris Raschel, cela passe également par la mise à disposition des textes dans des éditions scientifiques récentes, à commencer par de très beaux papyrus d’époque byzantine. « Ces nouvelles éditions, qui s’appuient sur des technologies modernes de numérisation des papyrus, permettent de corriger des erreurs d’interprétation, de contextualiser et de rendre les pièces consultables en ligne », mentionne-t-il. Une large diffusion des papyrus ouvrirait la voie à un renouveau d’études autour de ces textes, fédérant les chercheurs autour d’un projet ambitieux, à l’image du défi que représente la redécouverte d’un patrimoine millénaire.

Expression de cette volonté, la création d’un centre de papyrologie au musée du Louvre centraliserait l’étude de documents dispersés à travers les différents départements. « Ce centre de papyrologie permettrait de favoriser des collaborations entre des chercheurs aujourd’hui éparpillés dans différents départements du musée du Louvre », observe le papyrologue. Cette initiative, encore à l’étude, incarne une volonté de valoriser un fonds de papyrus qui, loin d’être figé, continue d’évoluer au rythme des découvertes et des interprétations renouvelées. Pour le chercheur, chaque fragment, même le plus modeste, a le potentiel de révéler de nouvelles connaissances sur les civilisations anciennes de l’Égypte. En recoupant les différentes bases de données de papyrus à travers le monde, certains fragments peuvent résonner avec d’autres. Parfois, les chercheurs arrivent à reconstituer les biographies d’habitants de l’Égypte antique, voire de familles. « En redécouvrant les papyrus du Louvre, on redonne vie à des personnes plusieurs millénaires après leur disparition ! », s’exclame-t-il. Grâce à la collaboration de chercheurs du monde entier, la collection de papyrus du musée du Louvre n’a pas fini de révéler ses secrets.

*Carl-Loris Raschel est chercheur au sein de la chaire Culture écrite de l’Antiquité tardive et papyrologie byzantine du Pr Jean-Luc Fournet. Il bénéficie d’un contrat postdoctoral dans le cadre d’une convention de partenariat entre le Collège de France et le musée du Louvre.