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La fibre optique au service des batteries électriques

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

Dans un monde où la mobilité électrique se développe rapidement, l’amélioration des batteries électriques devient cruciale. En dépit de pistes prometteuses, la technologie reste similaire à celle qui prévalait il y a plusieurs décennies. Une compréhension plus fine des mécanismes chimiques au sein des batteries ouvre la voie à une durabilité et une efficacité accrues.
Rencontre avec Charlotte Gervillié-Mouravieff*, chercheuse en chimie des matériaux au Collège de France.

La chimie se trouve au cœur des batteries lithium-ion, le modèle le plus utilisé et maîtrisé à travers le monde. Ces batteries se composent de deux électrodes qui se comportent comme des éponges. Elles vont être capables « d’absorber » et de « relarguer » des ions lithium permettant ainsi de stocker de l’électricité. Pour ce faire, elles baignent dans un liquide appelé électrolyte, qui permet la circulation des ions lithium entre ces deux électrodes. Si ce principe de base est bien connu, beaucoup d’autres phénomènes chimiques entre les électrodes et l’électrolyte nous échappent encore. En effet, une fois fermées et mises en fonctionnement, les réactions chimiques à l’intérieur des batteries demeurent difficiles à observer directement. Pourtant, ces réactions influencent les performances et la longévité des batteries. « Il reste crucial d’améliorer nos connaissances des réactions chimiques évoluant au sein des batteries pour en maximiser l’efficacité », rappelle la chimiste Charlotte Gervillié-Mouravieff. D’ailleurs, une meilleure compréhension de ces phénomènes chimiques permet d’accompagner de nouvelles pistes de recherche, telles que le développement rapide de nouveaux matériaux d’électrode sans cobalt ou le remplacement des ions lithium par des ions sodium, bien plus abondants et accessibles. L’objectif n’est donc pas seulement d’augmenter les capacités de stockage des batteries, mais surtout de résoudre les problèmes liés à leur sécurité, à leur stabilité et à leur impact environnemental. La chercheuse souligne que ces « réactions chimiques invisibles et incontrôlées entre l’électrolyte et les électrodes sont à l’origine de certains incidents, pouvant aller jusqu’à provoquer des incendies ». Un rappel crucial que la sécurité demeure un enjeu majeur dans cette quête d’amélioration.

La fibre optique au cœur des nouvelles solutions

Une des solutions les plus innovantes pour mieux comprendre ce qui se passe à l’intérieur des batteries réside dans l’utilisation de fibres optiques. Habituellement utilisée pour transporter de la lumière sur de longues distances, cette technologie se prête à une application tout à fait différente dans le domaine des batteries, celle de capter les changements chimiques en temps réel à l’intérieur des cellules. « Nous utilisons des capteurs sur des fibres optiques pour observer des phénomènes invisibles dans les batteries », explique Charlotte Gervillié-Mouravieff. Elle s’inspire ici de méthodes utilisées en médecine, où des capteurs permettent de suivre des informations vitales dans le corps humain. Appliquée aux batteries, la fibre optique pourrait détecter la formation de couches de passivation lors des premiers cycles de charge, une étape critique dans le cycle de vie d’une batterie. Cette couche, qui se forme sur l’électrode négative, peut tout autant protéger la batterie et prolonger sa durée de vie qu’entraîner une dégradation rapide si elle se forme de manière instable.

En apparence, le principe semble simple. La lumière infrarouge envoyée à travers une fibre optique peut interagir avec les composés chimiques présents dans la batterie. Lorsque la lumière rencontre certaines molécules, elle est partiellement absorbée. En analysant les longueurs d’onde manquantes à la sortie de la fibre, les chercheurs peuvent ainsi identifier quels composés sont présents et comment ils évoluent au fil du temps. « De nombreuses molécules viennent absorber une partie du spectre seulement. Lorsque l’on récupère ce qu’il reste de notre lumière infrarouge, les bandes qui correspondent à toutes les molécules que l’on a croisées sur notre chemin de fibre optique sont manquantes », résume la chercheuse.

Cependant, cette approche comporte des défis techniques. Les environnements chimiques à l’intérieur des batteries sont extrêmement corrosifs, et la fibre optique elle-même peut être dégradée. Le choix des matériaux pour la fabrication des fibres fait d’ailleurs l’objet d’une collaboration étroite avec l’Institut des sciences chimiques de Rennes, laboratoire spécialisé dans la synthèse de verres transparents dans le domaine de l’infrarouge.

Les défis de l’industrialisation

Bien que les recherches sur les batteries progressent rapidement, le passage à une échelle industrielle reste complexe. « En Europe, l’industrie de batteries reste peu développée. Nous achetons la majorité de nos batteries à l’étranger », regrette Charlotte Gervillié-Mouravieff, ce qui ralentit la diffusion commerciale des nouvelles technologies issues des laboratoires.

Pourtant, les recherches actuelles offrent des perspectives encourageantes concernant les performances, la réparabilité et le recyclage. L’intégration de capteurs optiques rend possible le suivi de l’évolution en temps réel des cellules qui composent les batteries, et même le diagnostic des problèmes avant qu’ils ne deviennent critiques. Cela permettrait non seulement de prolonger la durée de vie des batteries, mais aussi de réduire le gaspillage en identifiant précisément les cellules défectueuses.

Toutefois, cette transition vers des batteries intelligentes et réparables nécessitera des investissements importants et une coopération accrue entre les acteurs scientifiques et industriels. Les premières applications de ces technologies devraient concerner les tests en laboratoire, avant de pouvoir être déployées commercialement. Charlotte Gervillié-Moutavieff reste optimiste : « Il y a une vraie tendance à aller vers plus de diagnostics dans les batteries ». L’avenir des batteries, éclairé par la lumière infrarouge, est peut-être déjà en train de se dessiner, à condition que les défis de l’industrialisation soient relevés.

*Charlotte Gervillié-Mouravieff est chercheuse au sein du Laboratoire de chimie du solide et énergie du Collège de France dirigé par le Pr Jean-Marie Tarascon.