Quelles sont les maladies autour desquelles vous travaillez ?
Elles sont assez diverses. Le mécanisme que j’étudie se situe au centre d’un « carrefour » : il va affecter différents aspects dans notre corps. Par exemple, il est lié au diabète de type 2, à des maladies génétiques plutôt rares comme l’insuffisance hépatique infantile aiguë, ou encore au syndrome de Leigh, qui est un trouble cérébral progressif. Le point commun entre ces maladies est un défaut de synthèse des enzymes qui modifient les ARN de transfert (ANRt).
Quel est le rôle de ces ARN de transfert dans les processus biologiques du corps humain ?
Les ARN interviennent notamment dans la synthèse des protéines. Les protéines sont des molécules biologiques constituées d’acides aminés qui sont fondamentaux pour l'activité du corps humain. Elles sont comme les ouvrières du métabolisme. Elles participent également à la composition de la peau, des muscles, etc. Leurs fonctions sont très larges : elles sont la base de la vie.
Pour synthétiser des protéines, notre corps a besoin des informations génétiques qui sont stockées sous forme d’ADN. Or, ces informations ne sont pas directement accessibles par le corps. Pour qu’elles puissent être utilisées pour la synthèse des protéines, il faut des agents de transmission de ce message (ARN messager) et de transfert des acides aminés selon l’instruction du message ; c’est le rôle des ARN de transfert. C’est pour ces raisons que je parlais d’un point de « carrefour ».
Vu la variété de leurs rôles, les ARN interviennent dans la synthèse de différentes protéines qui engendrent différents effets sur le corps. Je travaille sur les ARN de transfert pour comprendre leur fonctionnement : comment s’assurer que les informations génétiques puissent être correctement lues avant d’être transférées pour instruire la synthèse des protéines demandées. Les maladies que j’évoquais sont en partie causées par le dysfonctionnement de ces ARNt de transfert.
Vous travaillez sur la chimie du corps humain…
Le domaine de la chimie dans lequel je travaille s’appelle la biochimie. La biologie et la chimie ont un lien très étroit. Si c’est une discipline vaste, pour moi la chimie est l’étude des propriétés de la matière jusqu’à l’échelle atomique et des effets de leurs interactions entre elles. Ce sont les différentes réactions chimiques qui permettent le fonctionnement du système biologique. Je travaille dans le Laboratoire chimie des processus biologiques du Pr Marc Fontecave au sein de l’équipe Enzymes de modification des ARNs, qui s’intéresse à ces processus biochimiques. Par exemple, un ARN de transfert est un assemblage, notamment, d’atomes de carbone, d’azote, d’oxygène et d’hydrogène. Pour que ces molécules puissent être créées, stabilisées et fonctionnelles, il y a différents processus chimiques en jeu, comme la sulfuration qui consiste en l’incorporation de soufre dans certains ARNt.
C’est ce processus de sulfuration qui constitue votre objet de recherche ?
Plus particulièrement, je m’intéresse au processus de sulfuration catalysée par les enzymes. Une enzyme est une protéine qui accélère les réactions biochimiques, on dit qu’elle les catalyse. Dans le mécanisme que j’étudie, l’enzyme permet la sulfuration, c’est-à-dire l’incorporation d’atomes de soufre dans l’ARN. Mais pour être pleinement fonctionnelles, ces enzymes ont besoin de ce que nous appelons un « cofacteur ». Sans celui-ci, la réaction serait moins efficace, voire impossible. Cet intermédiaire, métabolisé par notre corps, est constitué de quatre atomes de fer et de quatre atomes de soufre. On le nomme centre [4Fe-4S]. Il est essentiel pour l’activité de l’enzyme, et c’est possiblement un problème de métabolisation de ce cofacteur qui toucherait les patients atteints des pathologies que j’évoquais. C’est le point central de mes recherches. Ce mécanisme a déjà été étudié dans les années 2000, mais les progrès techniques nous permettent aujourd’hui d’en préciser le fonctionnement.