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Hommage à Lucien Bernot

par Bernard Frank
Lucien Bernot

Lucien Bernot (1919-1993)

Lucien Bernot, qui fut professeur au Collège de France dans la chaire de « Sociographie de l'Asie du Sud-Est », était né le 2 décembre 1919 à Gien, dans le Loiret. D'ascendance bourguignonne paysanne, son père, ouvrier aux PTT, avait appris à lire tout seul. Lui-même, ne pouvant poursuivre des études, entra en apprentissage à 14 ans, mais sut choisir un métier pour lequel il éprouvait beaucoup d'attirance, celui de compositeur-typographe. Il l'exerça, avec des interruptions, durant 10 ans, à partir de 1934 ; interruptions, notamment, à cause d'une entrée dans la clandestinité, sous l'occupation, où le pacifiste et ancien objecteur de conscience qu'était Lucien Bernot partit non pas pour prendre les armes, mais pour, au risque incessant de sa vie, aider des gens poursuivis.

En 1944, alors qu'il travaillait dans la région parisienne, l'idée lui vint de s'inscrire comme auditeur libre au cours de chinois de l'École Nationale des Langues Orientales Vivantes. Son but, dit-il lui-même, était « limité et pratique : apprendre à composer dans cette langue ». Ayant réussi l'examen d'entrée à l'école, il put y devenir élève régulier et obtint le diplôme, par lequel il eut l'équivalent du Baccalauréat.

Il garda toujours une grande prédilection pour ce domaine de l'imprimerie, dont il avait une vue à la fois encyclopédique, et précise dans le moindre détail. Converser avec lui sur la question était un enchantement.

Par-delà ce travail de l'imprimerie, c'était sur toutes les formes du savoir-faire de la main que se portait son intérêt, notamment celui du monde rural avec lequel – hommes et techniques – il avait le plus de familiarité. Il commença très tôt à se lancer sur les routes de France à bicyclette, s'enquérant des choses, questionnant les gens d'une façon – ceux qui l'ont accompagné le savent – qu'ils ressentaient comme toute naturelle. Il poursuivit de la même manière dans une grande partie de l'Europe – jusque dans les Balkans – et en Afrique du Nord.

Tandis qu'il étudiait le chinois, il aimait se rendre au Musée de l'Homme. Un ami de longue date, qui était ethnographe, l'y présenta et lui fit visiter les réserves. Initiative lourde de conséquences. « C'était véritablement un accident », dit-il, « … la part de l'accident existe aussi », mais il concède « Beaucoup de choses se font au niveau de l'inconscient… » (Interview dans Itinéraire, 2e trimestre 1992).

Il en vint à être connu de plusieurs chercheurs, notamment d'André Leroi-Gourhan, alors sous-directeur au Musée, qui s'intéressa à lui et lui conseilla de s'inscrire en Ethnologie. C'est ainsi qu'il se trouva amené à suivre des enseignements comme ceux de Paul Mus, Pierre Gourou et Roger Dion. Il se mit aussi à faire du tibétain à l'École pratique des Hautes Études. En 1946, il se verra confier, avec une indemnité de « chômeur intellectuel », un premier poste au Département d'Asie du Musée, avec la tâche, principalement, de classer les collections tibétaines. L'année suivante, il fait son entrée au CNRS comme stagiaire de recherche. Il y passera attaché, puis chargé.

Sur les conseils de Claude Lévi-Strauss, il s'engage dans une entreprise qui avait pour but, à travers une enquête conduite dans un village de France, d'associer une rigoureuse approche ethnographique à une méthodologie qui entendait s'affirmer entièrement libre à l'égard des présupposés théoriques d'une anthropologie américaine alors prédominante.


Référence

Imprimée
Frank B., « Hommage à Lucien Bernot (1919-1993) »L’annuaire du Collège de France, Paris, Collège de France, n° 94, 1955, p. 79-83.