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Hommage à Anatole Abragam

par Serge Haroche
Anatole Abragam

Anatole Abragam (1914-2011)

Anatole Abragam est né à Moscou, le 15 décembre 1914. Il s’est éteint le 8 juin 2011 à l’âge de 96 ans. Diplômé de l’École supérieure d’électricité, il fut directeur de la Physique au Commissariat pour l’énergie atomique de 1965 à 1970. Nommé professeur au Collège de France en 1960, il fut titulaire de la chaire de Magnétisme nucléaire jusqu’en 1985.

Né en 1914 à Moscou dans une famille de la bourgeoisie juive, il y passa sa prime enfance, assistant aux premières années de la Russie soviétique.

Il émigra à l’âge de dix ans en France avec sa mère et sa sœur. Son père, resté à Moscou, ne put les rejoindre à Paris que onze ans plus tard. De son enfance russe, il a gardé une connaissance parfaite de la langue, ainsi que l’empreinte de l’âme slave, véhiculée par sa littérature et sa poésie qui l’ont accompagné toute sa vie.

Dès son arrivée en France, il s’adapte vite à un monde nouveau, apprenant en quelques mois à parler parfaitement le français sans accent. Il fait des études secondaires brillantes au lycée Janson de Sailly, se distinguant particulièrement en mathématiques et en latin. Le bac en poche, il s’oriente d’abord vers la médecine, la profession de sa mère qui fut l’une des premières femmes médecin de Russie, mais s’aperçoit vite qu’il n’est pas fait pour la carrière médicale et décide au bout d’un an d’étudier la physique. D’un esprit trop indépendant pour se soumettre à la discipline des classes préparatoires, il choisit la voie de l’Université.

Dans les années trente, en dépit de quelques éminents professeurs, l’enseignement de la physique en France ne reflétait que très imparfaitement l’effervescence et le renouveau de cette discipline, qui s’exprimait surtout dans les pays anglo-saxons et de l’Europe du Nord où s’étaient réfugiés la plupart des savants chassés d’Allemagne par la montée du nazisme. La mécanique quantique restait peu ou mal enseignée à Paris et le jeune Anatole, à l’esprit vif et critique, sentant bien les limites de l’enseignement qui lui était proposé, ne parvint pas à trouver dans la Sorbonne d’alors un directeur de thèse capable de le diriger au delà de sa licence, brillamment obtenue en 1936.

Il commençait à douter de sa vocation lorsque la guerre interrompit ses études. Il vécut la drôle de guerre et l’attaque allemande sous les drapeaux, sans que son unité ait été amenée à combattre, puis se cacha dans le Sud, gagnant sa vie en donnant des cours de latin, de mathématiques et de physique dans des établissements privés. Il finit par se réfugier dans l’arrière pays grenoblois, rejoignant les forces françaises libres dans la dernière année de la guerre.

À trente ans, à la Libération, il n’a ni profession ni formation en physique digne de son ambition, mais de nouvelles possibilités s’ouvrent à lui dans le bouillonnement de la reconstruction de la France. Ne voulant revenir à la Sorbonne et à ses mauvais souvenirs, il intègre sur titre l’École supérieure d’électricité (Supélec) où il acquiert les bases de la radioélectricité et de la technologie des radiofréquences qui avaient fait des progrès immenses pendant la guerre et dont la connaissance devaient lui être utile par la suite. Son diplôme d’ingénieur lui ouvre en 1947 les portes du Commissariat à l’énergie atomique, nouvellement créé. Avec trois jeunes polytechniciens brillants, il forme ce qu’ils ont plaisamment appelé la bande des « trois mousquetaires » du CEA, rattrapant avec enthousiasme le temps perdu par une étude approfondie des grands textes de la physique quantique, utilisant leurs compétences complémentaires pour se les traduire de l’anglais, du russe et de l’allemand.

Surtout, il obtient de la direction du CEA deux délégations lui permettant de partir à l’étranger pour y compléter sa formation de chercheur. À Oxford d’abord, entre 1948 et 1950, il s’initie à la résonance paramagnétique électronique et fait sa thèse d’un travail théorique original sur ce sujet. Puis à Harvard, entre 1952 et 1953, il découvre la résonance magnétique nucléaire (RMN) auprès d’Edward Purcell, l’un des pionniers de cette discipline née en 1946.


Références

Imprimée
Haroche S., « Hommage à Anatole Abragam (1914-2011) »L’annuaire du Collège de France, Paris, Collège de France, n° 112, 2013, p. 77-84.

Numérique
Haroche S., « Hommage à Anatole Abragam (1914-2011) »L’annuaire du Collège de France, Paris, Collège de France, n° 112, 2013, https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.1459.