L'éducation arithmétique s'accompagne d'un autre changement important : l'apprentissage de liens systématiques entre les nombres et l'espace. L'intuition d'une échelle spatiale des nombres joue un rôle essentiel en mathématiques, depuis la notion de mesure (géo-métrie) jusqu'à l'étude des nombres irrationnels, de la droite réelle, des coordonnées Cartésiennes ou du plan complexe. De nombreuses études démontrent l'automaticité du lien entre les nombres et l'espace chez l'homme adulte : la simple présentation d'un chiffre arabe suffit à biaiser les réponses motrices et l'attention visuo-spatiale, en direction de la droite pour les grands nombres et de la gauche pour les petits nombres. Cet « effet SNARC » (spatial-numerical association of response codes) dépend de variables attentionnelles et culturelles telles que la direction de l'écriture - la direction de l'effet tend à s'inverser dans les cultures qui lisent de droite à gauche (Dehaene, Bossini, & Giraux, 1993).
L'association nombre-espace elle-même semble provenir des liens anatomiques très étroits qu'entretient la région intrapariétale moyenne, impliquée dans le codage du nombre, avec les régions voisines impliquées dans le codage de l'espace. En particulier, un circuit relie les aires LIP et VIP, qui sont impliquées dans le mouvement des yeux et le codage des positions pertinentes de l'espace. Avec Ed Hubbard, sur la base d'une revue détaillée de ces questions, j'ai proposé que ce circuit VIP-LIP soit en partie recyclé pour l'arithmétique élémentaire (Hubbard, Piazza, Pinel, & Dehaene, 2005). Avec André Knops et Mariagrazia Ranzini, nous avons obtenu des données d'IRM fonctionnelle, de potentiels évoqués et de comportement qui vont dans ce sens. En effet, la simple présentation d'un nombre induit une activation latéralisée des régions pariétales postérieures (homologue plausible de l'aire LIP chez l'homme). De plus, l'addition et la soustraction évoquent automatiquement un mouvement vers la droite et la gauche respectivement. Ces liens spatio-numériques demeurent non-conscients chez la plupart des personnes testées. Cependant, chez de rares individus, leur accès à la conscience pourrait peut-être expliquer le phénomène de synesthésie numérique. Ces personnes, en effet, affirment voir, au sens littéral, les nombres à des positions spatiales bien déterminées sur une échelle spatiale interne.