Amphithéâtre Guillaume Budé, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Résumé

Quasi inexistante jusqu’alors, étrangère au japonisme de la seconde moitié du XIXe siècle, la référence au Zen se fit insistante et polymorphe dans les arts, les Lettres et la pensée, voire dans certains secteurs plus larges du corps social (arts martiaux, macrobiotique), en Occident, de l’immédiat après-guerre au début des années 1970.

On esquissera d’abord les grandes lignes du cheminement tortueux, transnational (entre Japon, États-Unis et Europe), qui mit soudain en pleine lumière, dès la fin des hostilités, les travaux des « contrebandiers du zen », ces « sombres précurseurs » d’avant-guerre (Suzuki Daisetsu, Eugen Herrigel, Reginald Blyth, Ruth Fuller, Alan Watts, Jean Herbert, Nancy Wilson Ross, Elizabeth Moresby, Loraine Kuck, Karl Dürckheim, Hugo Lassalle), pour en faire pendant une vingtaine d’années les vecteurs majeurs de cette conversion généralisée.

On décrira ensuite quelques traits élémentaires de cette référence qui fut plus qu’une mode, comme le vide (l’espace, le blanc, le zéro, le néant), le geste (le trait, l’écriture, la calligraphie), l’humour (le paradoxe, l’excentricité, le non-sens), l’instant (le tir, le satori), le maître (et le disciple), en analysant le rôle qu’ils ont pu jouer dans l’œuvre de personnalités aussi diverses que le musicien John Cage, le sculpteur et designer Isamu Noguchi, les peintres Yves Klein et Pierre Soulages, le photographe Henri Cartier-Bresson, le poète Philippe Jaccottet, ou les écrivains Jack Kerouac, André Malraux, Gilles Deleuze et Roland Barthes, pour ne citer que quelques exemples (non définitifs et non exhaustifs).

Insistant sur le rôle important joué par certaines institutions (Unesco, Fondation Rockefeller, Congress for Cultural Freedom, ministère de la Culture), on conclura en tentant de mettre en lumière certaines des causes profondes qui expliquent le succès aussi foudroyant qu’inattendu de cette référence spécifiquement néo-japoniste : elles tiennent pour beaucoup à la nouvelle place du Japon dans le monde, dans un après-guerre de ruines et de reconstruction, au cœur de la guerre froide, de la décolonisation et de la restructuration de l’ordre économique mondial.

Mais l’histoire est parfois cumulative : n’est-ce pas d’un même mouvement, à cette époque, que le « jardin Zen » du Ryōan-ji et la « Grande Vague » de Hokusai sont devenus des icônes mondialisées ?

Intervenant(s)

Emmanuel Lozerand

Professeur à l'Inalco