Résumé
La France s’engage réellement dans l’aventure coloniale au XVIIe siècle, à la suite de l’établissement de comptoirs commerciaux en Amérique du Nord et sur la côte du Sénégal. Cet engagement amorce la diffusion du français dans le monde et marque aussi le début de son évolution différentielle. C’est alors qu’émergent de nouveaux dialectes coloniaux (par ex., le français québécois ou le français louisianais) et des créoles français (par ex., l’ayisyen ou le morissien). Depuis le XXe siècle, on parle aussi des français africains. Ces distinctions linguistiques sont le fruit des différents types de colonisation et des contacts de populations que ceux-ci ont engendrés : dans le cas des dialectes, la colonisation de peuplement aboutissant à une population majoritairement européenne ; dans celui des créoles, la colonisation de peuplement produisant une majorité démographique non européenne isolée des colons européens ; et pour les français africains, la colonisation d’exploitation, qui ne commence qu’à la fin du XIXe siècle. Dès lors, le français coexiste dans les colonies avec des langues indigènes et non indigènes. Alors que ces deux dernières disparaissent dans les colonies de peuplement à majorité non européenne, elles sont menacées d’extinction dans celles majoritairement européennes. Quant aux anciennes colonies d’exploitation en Afrique, les langues indigènes sont résilientes ; c’est alors plutôt le français qui pourrait être menacé dans certains cas.
L’évolution différentielle du français est aussi influencée par le mode de sa transmission, selon que celui-ci est scolaire (le cas des français africains), ou naturaliste et par immersion (le cas des créoles et des dialectes du Nouveau Monde). Nous réexaminerons l’émergence même de la langue française en Europe du point de vue de la colonisation en particulier l’Empire romain) et du contact des langues. Des termes tels que « vieux français » et « moyen français » ne nous empêchent-ils pas de mieux comprendre la spéciation du latin en Europe romane sous l’influence des langues substratiques indigènes ? Et la minoration des langues régionales n’est-elle pas la conséquence des mêmes dynamiques de compétition et de sélection que nous observons aujourd’hui entre langues dans les (anciennes) colonies européennes ?
La formation de la Francophonie aux moments des indépendances en Afrique et en Asie soulève des questions sur la coexistence des langues notamment à l’ère de la globalisation économique mondiale. Les langues peuvent-elles être « partenaires » contre un concurrent commun ? Ou n’est-ce pas plutôt les États membres qui devraient être partenaires dans leur combat contre l’hégémonie mondiale de l’anglais ? Cette coalition des nations implique-t-elle qu’on doive accorder un statut privilégié, pour ne pas dire hégémonique, au français ? Un tel système ne contribue-t-il pas à désavantager les citoyens qui n’ont pas de compétence (suffisante) en français ? Au fond, comment la « globalisation » influence-t-elle les pratiques langagières dans les « mondes francophones » ?