L'existence d'une aire cérébrale spécialisée pour la lecture, avec une localisation reproductible d'un individu à l'autre, soulève la question de son origine. Dans la mesure où la lecture est une activité bien trop récente pour avoir exercé une pression sélective sur l'évolution de notre cerveau, il nous faut rechercher quels précurseurs peuvent avoir conduit à une spécialisation de cette région chez les primates, spécialisation qui serait ensuite « recyclée » pour la lecture dans l'espèce humaine.
Chez le singe macaque, la région occipito-temporale ventrale joue un rôle essentiel dans la reconnaissance invariante des objets et des visages (Rolls, 2000). Cette région réalise déjà l'invariance pour la position, la taille et l'angle de vue : elle ne s'intéresse pas à la position des objets, mais sa lésion interfère sélectivement avec la reconnaissance de leur identité. L'enregistrement unitaire montre qu'elle comprend une mosaïque de neurones spécialisées pour des formes d'objets, et invariants pour les indices visuels qui les composent. Ces neurones présentent une grande plasticité : lorsque l'animal apprend à reconnaître des objets nouveaux, y compris des formes abstraites de fractales, de nombreux neurones inféro-temporaux se mettent à répondre sélectivement à ces formes. Lorsque l'animal apparie deux formes arbitraires, ces deux formes peuvent être codées par un seul et même neurone - un appariement neuronal peut-être pertinent pour l'apprentissage des paires de lettres minuscules et majuscules.