Cours

Les usages de la terre. Cosmopolitiques de la territorialité (suite)

du au
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Le cours constituait la deuxième partie d’un cycle débuté l’année précédente dont l’objectif est de reconceptualiser certaines notions au moyen desquelles l’anthropologie décrit et analyse les modalités et les institutions du vivre-ensemble dans les collectifs non modernes. Il s’agit de problématiser à nouveaux frais l’étude des domaines de la vie collective compartimentés à l’ordinaire dans des rubriques spécialisées afin de mieux prendre en compte la diversité des régimes ontologiques sous lesquels humains et non-humains sont assemblés et la forme de leur assemblage, à savoir leur cosmopolitique singulière. La première phase de ce programme, celle qui a occupé le cours de l’année dernière et que le cours de cette année a poursuivi, consiste à reprendre un fondement du vivre-ensemble, le rapport à la terre, en particulier les modalités concrètes de l’usage des lieux et les manières dont ceux-ci sont conceptualisés et utilisés.

Comment aborder les cosmopolitiques de la terre sans tomber dans un biais eurocentrique ? D’abord en faisant le constat que la principale différence entre les cosmopolitiques non modernes et les institutions politiques modernes tient au fait que les premières sont en mesure d’intégrer les non-humains dans les collectifs, ou de voir dans les non-humains des sujets politiques agissant dans leurs propres collectifs, tandis que les secondes confinent les non-humains dans une fonction d’entourage, de ressource ou de support à l’activité symbolique. Les genres d’êtres qui résultent des cosmopolitiques non modernes ne sont donc pas ceux que les sciences sociales ont l’habitude de prendre en compte. Par exemple, si l’on examine sans préjugés quelles sont les composantes de ce que les ethnologues appellent « un groupe de filiation », non pas tel que ceux-ci le définissent, à savoir « un ensemble d’humains issus d’un ancêtre commun », mais ainsi que le conçoit un peuple où de semblables unités existent, alors on s’aperçoit que celles-ci s’arrêtent rarement aux frontières de l’humanité. Car dans le clan, le lignage ou le groupe totémique, il y a toujours plus que des hommes et des femmes ; il y a aussi toutes sortes de non-humains constitutifs de l’unité mixte que forment ces classes d’êtres, et non rajoutés après coup comme un décor pour le théâtre des actions humaines ou comme de simples pourvoyeurs de métaphores pour mieux exprimer la socialité de ces actions. L’idée selon laquelle l’unité d’analyse de l’anthropologie est fournie par les seuls humains constitue ainsi un blocage qui a obscurci l’analyse des dimensions proprement politiques de la vie commune ailleurs que dans les collectifs modernes. Car l’invention des sociétés modernes est passée par une épuration : on a fait sortir les non-humains de la cité pour n’y laisser que les humains, seuls sujets de droit. La représentation que les Modernes ont forgée de leur forme d’association, la société, fut ensuite transposée à l’analyse des collectifs non modernes, en même temps qu’une kyrielle de spécificités, comme le partage entre nature et culture, entre croyance et savoir, entre fait et valeur ou l’idée qu’un clan ou un lignage ne contient que des humains. C’est avec cette conception à la fois eurocentrique et anthropocentrique du politique qu’il s’agit de rompre.

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