Autre figure du roman de guerre comme roman de la destinée, les tirailleurs sénégalais, souvent mentionnés, mais fugitivement, et plus longuement dans La Randonnée de Samba Diouf (1922) des frères Tharaud. Leur présence passe à travers quelques clichés comme l’indiscipline, la cruauté, le courage ou la gaieté, par exemple chez Barbusse, Dorgelès, Paulhan et Drieu la Rochelle. On admire en eux les vrais soldats, mais on insiste sur leur différence. C’est toujours l’exotisme qui l’emporte dans leur description, sauf dans Force-Bonté (1926) de Bakary Diallo, dont le titre fait allusion à La Force noire (1910) du général Mangin.
De nombreux mots sont entrés dans la langue française à l’occasion de la guerre, comme pagaille, bourreur de crâne ou barda. Beaucoup de ces mots y sont entrés par l’armée d’Afrique. L’Argot de la guerre (1918) de Dauzat insiste sur eux, comme cafard ou barda (qui donnera Bardamu dans Voyage au bout de la nuit).
Le « cafard » est un trait caractéristique de la guerre comme paradoxal temps de vacances. Ce sentiment est lié à l’immobilisation du front, répandu à la caserne et au cantonnement. Le cafard désigne la tristesse, le bourdon, la mélancolie, la monotonie infernale, le spleen, les idées noires. Chez Baudelaire (« La destruction », Les Fleurs du mal), le mot ne signifie pas encore les idées noires, mais le bigot, l’hypocrite, le sournois. La diffusion du mot cafard, au sens de la mélancolie, est contemporaine de la Grande Guerre. Les deux sens, l’hypocrite et la mélancolie, dérivent de la blatte, animal noir et fuyant la lumière. Appelé aussi « saharite », « biskrite », « névrose du Sud », le cafard est omniprésent dans la littérature de cette guerre.
Deux médecins militaires lettrés, Louis Huot et Paul Voivenel ont publié dès le printemps 1918 un ouvrage intitulé Le Cafard. Le cafard est-il une véritable entité morbide, ou de l’indiscipline, ou de la simulation ? Les auteurs plaident, contre la majorité des médecins, pour l’existence du cafard, né, selon eux, en 1916, à la suite des séjours dans les tranchées. Ils distinguent deux sortes du cafard : normal, celui qui se manifeste soit par l’abattement soit par la rouspétance, et anormal, celui qui provoque la désertion. Selon eux, le cafard a toujours existé et ils prennent comme exemple d’un cafard antique celui d’Achille dans l’Iliade. Utilisé par tous les anciens combattants devenus écrivains, tels Bernanos, Duhamel, Montherlant, Céline, Roger Martin du Gard, Aragon, le mot est immensément présent dans la littérature de l’entre-deux-guerres.