Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’hypothèse dominante, à interroger, est celle d’une rupture profonde et déterminante sur beaucoup de plans, notamment la littérature, entre l’année 1913 et la période qui commence avec la Grande Guerre. S’agit-il, comme on a tendance à le dire, d’un changement d’époque, voire de la véritable fin du xixsiècle ?

Les écrivains et les artistes qui avaient marqué l’année 1913 seront tous affectés par la guerre. Ces données biographiques, ou le fait que les vers de l’Ève de Péguy, « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle… », seront très vite parodiés, par exemple dans Le Feu de Barbusse, semblent confirmer l’idée reçue relative à la suspension brutale du mouvement moderne et international en août 1914. Et c’est une littérature aux formes généralement plus conventionnelles qui s’écrivit et se publia durant la guerre, même lorsqu’il y était question de l’expression non du bellicisme et de l’héroïsme, mais du pacifisme ou du désespoir. La littérature de guerre alla de pair avec un certain classicisme ou académisme, à commencer par le fameux sonnet d’Edmond Rostand, La Cathédrale, composé dès septembre 1914 et consacré à la destruction de la cathédrale de Reims.

Parmi les romans, les plus grands succès de librairie, tels Le Feu de Barbusse et Les Croix de bois de Dorgelès, vite élevés au rang de classiques du genre, reconnaissaient leur dette envers le naturalisme de Zola (La Débâcle) et de Maupassant, que l’on avait pu considérer comme dépassé quelques années plus tôt. Pour décrire la vie quotidienne du front, le style de « la tranche de vie » s’imposa, qui avait été à la mode dans les années 1880. Sans aller jusqu’à la germanophobie de certains, comme André Suarès, cette littérature française de guerre, dont le retour à l’ordre a assurément coïncidé avec l’effort guerrier et national, semble avoir été plus conventionnelle que d’autres durant le conflit. Thibaudet, lorsqu’il évoquera cet académisme, le comparera à la littérature classique qui continua paradoxalement durant les bouleversements de la Révolution et de l’Empire.

Le relatif conventionnalisme de la littérature française, qui s’est même poursuivi durant les années 1920, fait contraste avec la littérature anglaise, dans laquelle il existe un genre bien établi de la poésie de guerre, avec des œuvres constamment rééditées et lues jusqu’à présent de Siegfried Sassoon, Wilfred Owen, Robert Graves. La littérature française, où la poésie de guerre est un genre oublié à l’exception d’Apollinaire et de Cendrars, n’a pas connu pendant assez longtemps des ouvrages aussi dérangeants qu’Orages d’acier de Jünger, À l’ouest rien de nouveau de Remarque, Parade’s End de Ford Madox Ford, ou les récits de la Lost Generation américaine (Hemingway, Dos Passos, Cummings). Les littératures anglaise et américaine des années 1920, prenant acte de la guerre pour se transformer, paraissent plus modernes que la littérature française.

Il faut pourtant constater que les thèmes, qu’ils soient patriotiques ou pacifistes, frappent par leur similarité par-delà les frontières des langues et des cultures. Il s’agit de la même expérience de la guerre moderne industrielle, où l’on est tué bien plus que l’on ne tue, et tué sans voir l’ennemi, par des obus, de la mitraille ou des gaz. Cette uniformité des récits de guerre suggère une sorte de prolongement paradoxal de l’internationalisme moderne de l’avant-guerre par la mondialisation de l’expérience de l’horreur. 1913 ne paraîtrait pas aussi remarquable si la guerre n’avait pas provoqué un retour aux traditions académiques et aux formes nationales. Et le redémarrage de la modernité en 1918 a été le fait d’une nouvelle génération, celle de Dada et du surréalisme, qui a peu évoqué son expérience de la guerre. La modernité de Breton, d’Éluard, d’Aragon, qui ont tous connu la guerre, s’est faite à travers le déni de cette expérience.

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