Blanche ou l’oubli a été introduit comme une chronique de 1966, avec chez Aragon une rage d’en être, de paraître dans le vent : « Pour moi, l’essentiel de l’histoire, c’était la jeunesse dans un livre où les principaux protagonistes ne sont pas jeunes ; la question était pour moi de mettre Gaiffier – c’est-à-dire un homme de ma propre génération – à la fois devant la plus jeune génération – de vingt à vingt-cinq ans au moment où le livre est écrit – et de montrer en même temps que sa curiosité de cette génération, sa fidélité, son attachement à une femme de la sienne (même un peu plus jeune que lui), la femme de sa vie », Blanche qui l’a quitté depuis dix-huit ans. C’est un roman plus complexe, plus méta-romanesque, plus circulaire que celui de Robbe-Grillet : Gaiffier imagine l’histoire de Marie-Noire, se met dans la peau de la jeune fille, pour essayer de comprendre pourquoi sa femme est partie, et Marie-Noire à son tour se met à imaginer une histoire où Gaiffier intervient : le personnage devient narrateur et le narrateur personnage, si bien qu’on ne sait plus qui écrit qui.
Or ce livre est ponctué d’un trou – juste après que Marie-Noire s’est mise à écrire –, creusé d’un hiatus, d’une pause au milieu, expliquée par une maladie – une crise cardiaque suivie d’une longue convalescence – du narrateur, Gaiffier, de la mi-février 1966 à la fin de mai 1966. Le roman s’arrête, la chronique contient un grand blanc, pas un mot d’écrit durant cinq mois, aucune actualité française ni internationale, jusqu’en juillet où la narration reprend. Au cœur du livre, il y a donc un creux massif. Les événements de la vie réelle permettent-ils de comprendre cette absence dans l’écriture d’Aragon ? Il y aurait au moins trois explications possibles. La maladie du narrateur correspond d’abord à une intense activité politique de l’écrivain : le jour de la crise cardiaque du narrateur, Aragon publie, le 16 février 1966, une tribune dans L’Humanité critiquant le procès de Moscou, puis il s’active dans l’organisation du comité central d’Argenteuil. Aussitôt après, Aragon et Elsa quittent Paris pour un mois à Florence, d’où ils reviendront début mai, et Aragon consacre plusieurs mois à corriger péniblement Les Communistes pour les Œuvres romanesques croisées. Enfin, l’hiatus du roman semble avoir une raison plus biographique que politique, et très intime : une lettre d’Elsa à Aragon a été retrouvée, vingt ans plus tard, en 1986, alors que tous deux étaient décédés. Lettre sauvée, lettre terrible, lettre d’accusation de la femme dépossédée par le roman sur elle (Blanche ou l’oubli la met à nu), lettre d’appel au secours adressée à un histrion, à un pitre (tout écrivain est sans doute un pitre), lettre qui date de ce printemps 1966. Une partie de cette lettre se retrouvera dans le roman ; le voile de la fiction est transparent : Blanche transpose l’actualité la plus privée. Mais le roman a aussi été bouleversé par deux publications majeures du printemps 1966, qu’Aragon assimile tout de suite : les livres de Benveniste et Foucault.